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« La conscience de soi est en soi et pour soi quand et parce qu'elle est en soi et pour soi pour une autre conscience de soi ; c'est-à-dire qu'elle n'est qu'en tant qu'être reconnu.»
Hegel (Phénoménologie de l'Esprit).
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L'idéologie est la base de la pensée d'une société de classes, dans le cours conflictuel de l'histoire. Les faits idéologiques n'ont jamais été de simples chimères, mais la conscience déformée des réalités, et en tant que tels des facteurs réels exerçant en retour une réelle action déformante : d'autant plus la matérialisation de l'idéologie qu'entraîne la réussite concrète de la production économique autonomisée, dans la forme du spectacle, confond pratiquement avec la réalité sociale une idéologie qui a pu retailler tout le réel sur son modèle.
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Quand l'idéologie, qui est la volonté abstraite de l'universel, et son illusion, se trouve légitimée par l'abstraction universelle et la dictature effective de l'illusion dans la société moderne, elle n'est plus la lutte volontariste du parcellaire, mais son triomphe.
De là, la prétention idéologique acquiert une sorte de plate exactitude positiviste : elle n'est plus un choix historique mais une évidence.
Dans une telle affirmation, les noms particuliers des idéologies se sont évanouis. La part même de travail proprement idéologique au service du système ne se conçoit plus qu'en tant que reconnaissance d'un «socle épistémologique» qui se veut au delà de tout phénomène idéologique. L'idéologie matérialisée est elle-même sans nom, come elle est sans programme historique énonçable. Ceci revient à dire que l'histoire des idéologies est finie.
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L'idéologie, que toute sa logique interne menait vers l'«idéologie totale», au sens de Mannheim, despotisme du fragment qui s'impose comme pseudo-savoir d'un tout figé, vision totalitaire, est maintenant accomplie dans le spectacle immobilisé de la non-histoire.
Son accomplissement est aussi sa dissolution dans l'ensemble de la société. Avec la dissolution pratique de cette société doit disparaître l'idéologie, la dernière déraison qui bloque l'accès à la vie historique.
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Le spectacle est l'idéologie par excellence, parce qu'il expose et manifeste dans sa plénitude l'essence de tout système idéologique : l'appauvrissement, l'asservissement et la négation de la vie réelle.
Le spectacle est matériellement «l'expression de la séparation et de l'éloignement entre l'homme et l'homme».
La «nouvelle puissance de la tromperie» qui s'y est concentrée a sa base dans cette production, par laquelle «avec la masse des objets croît... le nouveau domaine des êtres étrangers à qui l'homme est asservi».
C'est le stade suprême d'une expansion qui a retourné le besoin contre la vie.
«Le besoin de l'argent est donc le vrai besoin produit par l'économie politique, et le seul besoin qu'elle produit.» (manuscrits économico-philosophiques).
Le spectacle étend à toute la vie sociale le principe que Hegel, dans la Realphilosophie d'Iéna, conçoit comme celui de l'argent ; c'est «la vie de ce qui est mort, se mouvant en soi-même».
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Au contraire du projet résumé dans les Thèses sur Feuerbach (la réalisation de la philosophie dans la praxis qui dépasse l'opposition de l'idéalisme et du matérialisme), le spectacle conserve à la fois, et impose dans le pseudo-concret de son univers, les caractères idéologiques du matérialisme et de l'idéalisme.
Le côté contemplatif du vieux matérialisme qui conçoit le monde comme représentation et non comme activité - et qui idéalise finalement la matière - est accompli dans le spectacle, où des choses concrètes sont automatiquement maîtresses de la vie sociale.
Réciproquement, l'activité rêvée de l'idéalisme s'accomplit également dans le spectacle, par la médiation technique de signes et de signaux - qui finalement matérialisent un idéal abstrait.
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Le parallélisme entre l'idéologie et la schizophrénie établi par Gabel (La Fausse Conscience) doit être placé dans ce processus économique de matérialisation de l'idéologie.
Ce que l'idéologie était déjà, la société l'est devenue. La désinsertion de la praxis, et la fausse conscience anti-dialectique qui l'accompagne, voilà ce qui est imposé à toute heure de la vie quotidienne soumise au spectacle ; qu'il faut comprendre comme une organisation systématique de la «défaillance de la faculté de rencontre», et comme son remplacement par un fait hallucinatoire social : la fausse conscience de la rencontre , l'«illusion de la rencontre».
Dans une société où personne ne peut plus être reconnu par les autres, chaque individu devient incapable de reconnaître sa propre réalité. L'idéologie est chez elle ; la séparation a bâti son monde.
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«Dans les tableaux cliniques de la schizophrénie, dit Gabel, décadence de la dialectique de la totalité (avec comme forme extrême la dissociation) et décadence de la dialectique du devenir (avec comme forme extrême la catatonie) semblent bien solidaires.»
La conscience spectaculaire, prisonnière d'un univers aplati, borné par l'écran du spectacle, derrière lequel sa propre vie a été déportée, ne connaît plus que les interlocuteurs fictifs qui l'entretiennent unilatéralement de leur marchandise et de la politique de leur marchandise.
Le spectacle, dans toute son étendue, est son «signe du miroir».
Ici se met en scène la fausse sortie d'un autisme généralisé.
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Le spectacle, qui est l'effacement des limites du moi et du monde par l'écrasement du moi qu'assiège la présence-absence du monde, est également l'effacement des limites du vrai et du faux par le refoulement de toute vérité vécue sous la présence réelle de la fausseté qu'assure l'organisation de l'apparence.
Celui qui subit passivement son sort quotidiennement étranger est donc poussé vers une folie qui réagit illusoirement à ce sort, en recourant à des techniques magiques.
La reconnaissance et la consommation des marchandises sont au centre de cette pseudo-réponse à une communication sans réponse.
Le besoin d'imitation qu'éprouve le consommateur est précisément le besoin infantile, conditionné par tous les aspects de sa dépossession fondamentale.
Selon les termes que Gabel applique à un niveau pathologique tout autre, «le besoin anormal de représentation compense ici un sentiment torturant d'être en marge de l'existence».
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Si la logique de la fausse conscience ne peut se connaître elle-même véridiquement, la recherche de la vérité critique sur le spectacle doit aussi être une critique vraie.
Il lui faut lutter pratiquement parmi les ennemis irréconciliables du spectacle, et admettre d'être absente là où ils sont absents.
Ce sont les lois de la pensée dominante, le point de vue exclusif de l'actualité, que reconnaît la volonté abstraite de l'efficacité immédiate, quand elle se jette vers les compromissions du réformisme ou de l'action commune de débris pseudo-révolutionnaires.
Par là le délire s'est reconstitué dans la position même qui prétend le combattre.
Au contraire, la critique qui va au-delà du spectacle doit savoir attendre.
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S'émanciper des bases matérielles de la vérité inversée, voilà en quoi consiste l'auto-émancipation de notre époque. Cette «mission historique d'instaurer la vérité dans le monde», ni l'individu isolé, ni la foule atomisée soumis aux manipulations ne peuvent l'accomplir, mais encore et toujours la classe qui est capable d'être la dissolution de toutes les classes en ramenant tout le pouvoir à la forme désaliénante de la démocratie réalisée, le Conseil dans lequel la théorie pratique se contrôle elle-même et voit son action.
Là seulement où les individus sont «directement liés à l'histoire universelle» ; là seulement où le dialogue s'est armé pour faire vaincre ses propres conditions.